Les mutineries se propagent dans les prisons

Les mutineries se propagent dans les prisons

Des prisonniers se barricadent dans leurs cellules à El-Khroub

Le Quotidien d’Oran, 6 mai 2002

La prison d’El-Khroub, une ville distante d’une quinzaine de kilomètres du chef-lieu de wilaya, Constantine, a vécu, hier, une journée mouvementée. En effet, les prisonniers ont déclenché un mouvement de protestation à la limite de la mutinerie, durant la matinée de dimanche, vite maîtrisé par les gardiens.

Aux environs de midi, après le repas, les prisonniers, ayant intégré leurs cellules, commencèrent à hurler et faire un tapage d’enfer. Les gardiens ne purent entrer dans les salles pour ramener le came et pour cause, les prisonniers bloquaient les portes de l’intérieur avec des sommiers et menaçaient de rééditer les tragiques évènements de Serkadji et de la prison de Chelghoum Laïd. Les responsables de la prison tentaient alors d’engager le dialogue. Les prisonniers réclamèrent la présence du procureur général de la cour de Constantine pour lui soumettre une série de revendications.

Celles-ci ayant trait principalement à l’exiguïté des lieux du fait que la prison d’El-Khroub, initialement conçue pour contenir une centaine de prisonniers, abritait pratiquement le double. L’autre revendication, non moins importante, concernait la détention de prisonniers pour des périodes assez longues dans l’attente de leur jugement. Malgré la tension très vive à l’intérieur de la prison, rien n’indiquait aux alentours, notamment dans la cité des 250 logements, qu’il y avait une mutinerie dans l’air, si ce n’est la présence en force des véhicules de la protection civile et ceux de la sûreté de daïra. Les Khroubis, en effet, vaquaient à leurs occupations et aucun attroupement, fut-il de curieux, n’a été constaté durant toute la journée. En ce sens, il faut dire qu’aux environs de 14 heures, c’est le calme qui régnait après les assurances données aux prisonniers par la direction de la prison sur la présence du procureur. L’arrivée, dans l’après- midi, d’un procureur du tribunal du Khroub n’aura finalement pas été concluante. Les prisonniers réclamaient la présence du procureur général de la cour de Constantine. Ça sera d’ailleurs chose faite, ou presque, puisque son adjoint arrivera sur les lieux et parviendra à calmer la colère des prisonniers réunis dans la cour de l’édifice d’incarcération. Il aura fallu quand même deux bonnes heures au magistrat pour persuader les prisonniers de renoncer à la mutinerie. Promesse leur a donc été donnée de régler tous les problèmes qui existent dans la prison du Khroub.

Aux environs de 17 heures, tout rentrera dans l’ordre quand les prisonniers regagnèrent dans le calme les salles. Au dehors, devant la porte de la prison, ne restaient à cette heure qu’un véhicule léger de la gendarmerie et un autre de la sûreté de daïra du Khroub, qui quitteront quelques minutes après les abords de la prison. On saura, d’après un gardien, que durant la nuit du samedi à dimanche, 3 prisonniers mirent deux lits l’un au-dessus de l’autre et commencèrent à détruire les lampes éclairant la salle. Un mouvement de panique se déclencha parmi les incarcérés, heureusement vite dissipé après l’intervention des gardiens. Ces derniers emmenèrent les 3 mutins dans des cellules. Le calme reprendra alors ses droits. Mais à l’heure du petit-déjeuner, le lendemain, les prisonniers se donnèrent le mot pour déclencher une grève en s’abstenant de s’alimenter.

Le spectre des incendies de la prison de Chelghoum Laïd, de Serkadji et d’El-Harrach planait et les gardiens se mobilisèrent pour prévenir toute tentative de mutinerie. L’intervention de la direction, qui accorda une oreille attentive aux prisonniers, calma la colère, mais seulement pour un temps, car, à partir de midi, les choses ont failli prendre une tournure tragique quand les prisonniers menacèrent de mettre le feu aux salles et bloquèrent les portes de l’intérieur avec des sommiers de lits.

M. S. Boureni

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Alors que l’opinion continue de s’interroger

El-Harrach: le pire a été évité

Beaucoup de monde hier devant la «prison des 4 hectares» d’El-Harrach, au lendemain d’un nouvel incendie dans une prison algérienne qui a fait 25 blessés parmi les détenus et 04 parmi les gardiens de prison. Hier, c’était jour de visites et sous un soleil radieux, les familles, couffin à la main, venaient rendre visite aux leurs au lendemain d’une soirée très particulière. Contrairement à ce qui s’est passé à Serkadji, l’affichage de la liste des blessés était déjà faite au moment de l’arrivée des familles: ce qui a eu pour effet de taire les angoisses et les inquiétudes.

Quelques femmes pleuraient. Les noms des leurs étaient sur la liste des victimes. Certaines s’en iront vite vers les hôpitaux où étaient admis les blessés dans l’espoir de les voir et de se rassurer sur leur état de santé.

Les policiers tentaient de calmer quelques personnes gagnées par la panique. «Nous vous assurons qu’il n’y a eu aucun mort» répétaient sans cesse les éléments des BMPJ déployés sur place. «Pas normal!». Ces mots revenaient sans cesse parmi les «visiteurs» qui s’étonnaient de cette série d’incendies dans les prisons. Personne ne se risquait à une explication mais pratiquement tous trouvaient que la chose n’était «pas normale». Un dispositif sécuritaire serré était en place devant la prison d’El-Harrach.

Sur les circonstances de ce nouvel incendie -cela semble devenir une épidémie dans les prisons algériennes-, peu d’informations circulent. Tout au plus, on indique qu’il s’agirait d’un incendie provoqué par un détenu qui a mis le feu à son matelas après une dispute avec un co-détenu.

Il semblerait qu’une certaine vigilance était de mise après l’affaire de Serkadji qui, outre la configuration même de la prison, a permis de circonscrire rapidement les choses et d’éviter des dégâts humains plus graves. Un membre des services de sécurité abonde dans ce sens en indiquant que s’il n’y a pas eu de mort à El-Harrach, «c’est grâce à l’alerte donnée suite à l’incendie de la prison de Serkadji». Le directeur de la prison, Hocine Boumaïza avait déclaré sur les ondes de la radio que 20 blessés avaient été évacués vers les hôpitaux d’Alger et que 05 ont été soignés sur place. L’explication de la promiscuité et de l’exiguïté des cellules, invoquée dans le cas de Serkadji, ne semble pas être de mise dans ce cas d’espèce. Du moins, selon les propos de Boumaïza, qui a déclaré que le feu a pris dans une cellule où se trouvaient 25 prisonniers condamnés à de courtes peines et que ladite salle pouvait en accueillir une centaine. Hier, dimanche, 16 de ces prisonniers ont regagné leur cellule à la prison d’El-Harrach tandis que 04 détenus, atteints de brûlures du second degré, se trouvaient encore sous contrôle médical à la clinique des grands brûlés de l’avenue Pasteur. Fort heureusement, aucun décès n’est enregistré.

Le plus jeune des détenus atteints par des brûlures est âgé de 16 ans et le plus âgé a 45 ans. Rencontré, hier, dans l’enceinte de cette prison, l’adjoint du directeur de ce pénitencier dira que cet incendie a été provoqué à l’aide d’une allumette.

«Toutefois, cela n’est pas encore officiel tant que les résultats de l’enquête devant révéler les circonstances et les causes exactes de cet incendie ne soient pas encore connues» a-t-il précisé. Selon un des gardiens de cette prison, rencontré sur place, les proches des détenus ont apporté, durant la journée d’hier, quelque 900 couffins pour leurs proches détenus à la prison. La mère de l’un des détenus atteint de brûlures et qui avait regagné la prison après les soins, demandait à l’un des gardiens de lui transmettre son couffin. L’adjoint du directeur a ordonné à l’un des gardiens de le faire, pour qu’il arrive bien à son destinataire.

Des curieux étaient encore rassemblés hier soir aux alentours de la prison où un dispositif sécuritaire visible était en place pour parer à toute éventualité. Le pire n’a pas eu lieu à El-Harrach, mais de nombreuses questions taraudent les esprits sur cette série d’incendies qui passe d’une prison à une autre. Ce ne sont pas les seules familles des détenus qui pensent que: «cela n’est pas normal». Quant à l’explication, personne n’est en mesure de la donner. Il reste à relever que le professeur Issaâd, président de la Commission de la réforme de la justice affirme que ces crises dans les prisons étaient prévisibles et que de nombreuses personnes n’étaient pas à leur place dans les prisons.

Cela, au-delà de la thèse du «complot» qui commence à être évoquée ça et là, est un début d’explication qui repose sur des donnés objectives.

Saïd Abi

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Un incendie et des blessés au pénitencier de Constantine

Alors que le calme revenait à la prison du Khroub, aux environs de 17 heures de l’après-midi d’hier, un incendie a éclaté à la prison de Boussouf, dans la ville de Constantine.

Les prisonniers de la salle 3, au nombre de 28, transférés de la prison du Coudiat, mettront le feu dans les draps et les couvertures. La sirène se mit aussitôt à retentir. C’est la panique. Les gardiens arriveront, quand même, à ouvrir la porte de la salle trois. Mais le bilan est déjà important. Les premières ambulances arrivèrent aussitôt, la caserne de la protection civile se trouvant à proximité. Quatre camions des pompiers réussiront à circonscrire le feu qui menaçait les autres salles. Le ballet de pas moins de dix ambulances ne s’arrêtera qu’à 19 heures.

On dénombrera 37 blessés dont 4 dans un état grave. Ces 4 blessés, asphyxiés, ont été admis au service de réanimation dans un état jugé critique. Les détenus souffrent, dans la majorité, de brûlures au premier degré. Les autres ont été surtout incommodés par les émanations de fumée. Aux environs de 19 heures, quelques familles ayant appris que la prison avait été la proie du feu se sont agglutinées devant le grand portail de la prison et, particulièrement une femme qui hurlait éperdument pour connaître le sort de son fils emprisonné. Elle sera vite rassurée. Tout autant d’ailleurs que les autres femmes qui évacuèrent les lieux sous l’insistance des éléments de la gendarmerie venus en force.

Le procureur de la République donnera une conférence de presse où il indiquait à la presse que le feu a été provoqué par des prisonniers de la salle numéro 3 qui ont été condamnés par la justice définitivement. Il confirmera par ailleurs que les 37 blessés ont été évacués au CHU Benbadis mais démentira toutefois l’information faisant état de l’évacuation, vers l’hôpital, du directeur de la prison.

Le magistrat a également infirmé l’information relative à la prise en otage de ce dernier par les prisonniers.

M. S. Boureni