La vérité en marche

Voilà un livre essentiel. Les minutes du procès intenté au lieutenant Habib Souaïdia (auteur de  » la Sale Guerre « ) par le général Khaled Nezzar viennent de paraître aux éditions La Découverte. Elles permettent de remettre en ordre le puzzle épouvantable de la seconde guerre d’Algérie ; On y comprend enfin qui tue en Algérie – des islamistes, certes, mais sous étroit contrôle militaire. Et les raisons de ce bilan effroyable : 200 000 morts, 10 000 disparus, 500 000 exilés et un pays ruiné.

ALGERIE

La vérité en marche

UN DOSSIER REALISE PAR FABRICE NICOLINO

POLITIS – Jeudi 31 Octobre 2002

Peut-on rêver choc plus extraordinaire dans un prétoire ? D’un côté, Hocine Aït-Ahmed, dirigeant historique du FLN, belle et grande figure du mouvement démocratique algérien. De l’autre, le général Khaled Nezzar, un homme clé du régime des généraux. Ce dernier, visiblement conscient de la dimension du premier : » M Ait-:Ahmed, je suis un peu dans votre logique, d’une certaine manière, sauf que qu’entre nous il y a un écart extraordinaire.  » Aït Ahmed : « Il y a un fleuve de sang ! « 
Ce procès entrera dans l’histoire, il est d’ores et déjà un moment de l’histoire algérienne, et pas le moindre. Car pour la première fois, c’est la cohérence profonde, politique, sociale et militaire de la seconde guerre d’Algérie qui est restituée. A quand remonter ? Aux origines, c’est-à-dire à la guerre d’indépendance. Deux ans après le déclenchement de l’insurrection de 1954, le FLN se déchire déjà, au congrès de la Soummam, sur cette question essentielle : qui doit diriger la lutte? Le fusil ou le parti? Le politique ou le militaire ? La victoire des » politiques » sera de courte durée : en1958, les  » militaires  » assassinent Ramdane Abbane, qui se méfiait de leur puissance, attribuant sa mort à l’armée française. Déjà l’art du mensonge et de la manipulation, Mohamed Harbi, l’un des meilleurs historiens de cette époque, à la barre: « Le processus historique algérien est un processus qui a mené, comme autrefois la Prusse, à la formation d’un État armé, d’une armée ayant un État à son service et non une armée au service de l’Etat. » Ce qui s’est créé dès les premières années, ajoute-t-il c’est un  » parti militaire  » qui ne comprend certes pas toute l’armée mais ses principaux chefs en tout cas, et ses obligés. Son nom ? Jadis la Sécurité militaire. Aujourd’hui le Département de renseignement et de sécurité (DRS)

Jusqu’en 1965, date du coup d’Etat du colonel Boumedienne, qui renverse Ben Bella, la démocratie, y compris sociale – conserve ses chances. Puis le parti militaire s’empare de tout, à commencer par la rente pétrolière, et ne lâchera plus rien. L’agriculture est laissée à l’abandon, au profit de l’industrie lourde, façon Union Soviétique des années1930.
Les usines clés en main fleurissent, dont beaucoup ne serviront à rien d’autre qu’à nourrir, via des comptes à l’étranger, les corrompus du régime. Les enfants naissent par millions , mais non les appartements, ni les écoles, ni les emplois.

Pour le parti militaire, comme en témoigne José Garçon, qui a passé plusieurs années en Algérie entre 1987 et 1992 :  » Ce qui était frappant, c’est qu’on avait l’impression [que les autorités] découvraient qu’il y avait une population algérienne qui était capable de se révolter: J’ai entendu des mots assez terribles. On parlera de la  »découverte » d’un peuple!  » Curieuse rencontre, les snipers de l’Armée nationale populaire (ANP) tirent sur des adolescents et en tuent des centaines. Des milliers d’autres sont raflés, torturés dans les commissariats et les casernes. L’armée n’oubliera pas sa peur, la jeunesse n’oubliera pas sa haine. Le général Khaled Nezzar, qui a coordonné la répression, devient chef de l’état-major de l’ANP le 16 novembre 1988.
Tout de même: l’Algérie n’est pas l’Albanie. Un sursaut politique, sinon tout à fait démocratique se produit. Le multipartisme est enfin autorisé après le référendum du 23 février 1989, et le 9 septembre suivant, Mouloud Hamrouche est nommé Premier ministre. L ‘homme a des qualités, et il souhaite vraiment réformer, mais le système est désespérément verrouillé: Le gouvernement Hamrouche est, sans qu’on le sache, la dernière chance d’une solution humaine à la crise algérienne. Le 12 juin 1990, le FIS obtient plus de 54 % aux élections locales. Le 25 juillet, Nezzar devient ministre de la Défense. Le 4 septembre, il reconstitue, sous le nom de DRS, l’ancienne Sécurité militaire. L’année 1991 marque le début de la fin. En juin, Hamrouche démissionne, les législatives sont repoussées, l’état de siège est déclaré. En décembre; le premier tour des législatives accorde 47,27 % au FIS, mais avec près de 50% d’abstentions et de bulletins blancs ou nuls. Il n’y en aura pas de second; C’est la guerre.
Drôle de guerre. Le noyau dur de ce qui deviendra la guérilla islamiste est parfaitement connu des militaires : il s’agit des « Afghans », ces quelques centaines d’Algériens qui sont allés combattre en Afghanistan contre les Soviétiques.  » Lorsque les Afghans revenaient en Algérie, rapporte à la barre Mohammed Samraoui, qui fut à partir de mars 1990 un responsable du contre-espionnage algérien, ils étaient pris en charge dès leur arrivée. On avait des accords avec les responsables tunisiens. Le billet Karachi-Tunis était vendu 50 % moins cher; de sorte que les Afghans prenaient toujours cet itinéraire. A Tunis, on avait les listes et on les connaissait. »
 » On  » les connaissait, mais on n’y touchait pas. Pourquoi ? Parce que, raconte Samraoui, la stratégie du DRS consistait à radicaliser le mouvement islamiste, et donc à laisser agir à leur guise les 1 000 à 1 200 éléments les plus durs, pourtant presque tous fichés. Et il ne se contente pas de mots, mais donne des exemples, ajoutant cette phrase terrible :  » Le GIA, c’est la création des services de sécurité.  » Mais pourquoi, encore une fois? Samraoui propose une explication, qui n’est pas contradictoire avec d’autres : « Le meilleur allié du pouvoir est paradoxalement le GIA (..) Parce que le GIA a détruit tout le tissu industriel et économique de l’Algérie. Il a contribué grandement à mettre en pratique ce qu’avait édicté le FMI pour l’Algérie, c’est-à-dire le démembrement des industries obsolètes improductives, qui coûtaient de l’argent à l’Etat. Il a également permis la redistribution de certains monopoles publics vers le privé. Enfin, il a permis de contrer l’explosion populaire qui aurait été générée par les licenciements provoqués si les directives du FMI avaient été mises en pratique par le gouvernement de l’époque.  »
Nezzar, présent bien sûr à l’audience, tente de répondre aux accusations de Samraoui, mais il le fait d’une manière extraordinaire.  » Quant à dire que!e GIA est une création des services, fait-il, je m’inscris complètement en faux. Il y a plusieurs GIA; les GIA sont multiples.  » Multiples, qu’est-ce à dire ? Nezzar reprend, encore plus étrangement :  » Quant à dire que le GIA est une émanation des services, une création des services, il faut des preuves.  »
On n’étonnera guère en écrivant qu’il n’existe pas de preuve écrite, parfaite, indiscutable, de la création du GIA par le DRS (voir l’article  » Qui est derrière les bombes ? »). Mais tout l’indique, mais tout le clame. Pendant dix années, les médias du monde entier ont repris et diffusé des communiqués du GIA envoyés par fax, sans jamais pouvoir les authentifier. La journaliste José Garçon n’a-t-elle pas établi, dans un artIcle, que l’un d’eux provenait directement de l’ambassade d’Algérie à Paris? Comment expliquer cette opacité – sans égale dans l’histoire du terrorisme mondial – d’une structure sans chef véritable, sans histoire plausible, sans stratégie seulement compréhensible ?
Car en effet, pourquoi les islamistes après s’en être pris après 1992; fort logiquement, aux militaires et aux policiers du régime, s’attaquent-il ensuite au peuple algérien dans ses profondeurs mêmes ? N’est-il pas leur seule base arrière; et n’a-t-il pas voté largement pour le FIS en 1990 et 1991 ? La violence terroriste relativement ciblée 1992 à 1994, touche avec une remarquable précision beaucoup d’ennemis et d’adversaires du régime, dont des militaires importants.  » Pratiquement tous les officiers qui se sont opposés au général Smail Lamari, note Samraoui, ont, comme par hasard, été tués par le GIA. Et aucun des hommes qui lui sont proches n’a subi la moindre égratignure. Je trouve cela pour le moins anormal et douteux.  »

Djamel Zitouni, considéré comme le chef du GIA de septembre 1994 à juillet.1996, était il un véritable islamiste ? L’ancien capitaine Ahmed Chouchane affirme avoir rencontré en 1995 le colonel Athmane Tartag, dit  » Bachir  » – qui dirigeait à l’époque le centre de torture de Ben-Aknoun – en compagnie du général Kamel Abderrahmane. Les deux hommes veulent lui faire liquider des chefs islamistes, et Chouchane pense aussitôt à Zitouni, qui massacre alors par centaines, des femmes et des enfants. Pas du tout, et surtout pas Zitouni ! [Le colonel Bachir] m’a dit :  »Laisse Zitouni tranquille, c’est notre homme ; c’est avec lui que tu vas travailler »  »
On croyait avoir tout entendu, à distance, sur l’horreur des massacres commis en Algérie par les islamistes et les militaires. Mais il faut dire que les minutes du procès Nezzar secouent au plus profond. Qu’elles soient venues soutenir le général ou le lieutenant, l’armée ou la justice les victimes restent des victimes. Ainsi madame Safia Zanine dont le mari Mustafa est enlevé par des islamistes qu’elle connaît personnellement et dont elle récupère un an plus tard, la:tête. Ainsi madame Attika Hadjrissa, enlevée et séquestrée – violée donc – pendant neuf mois, dont le père et le frère ont été assassinés. On suffoque, sachant parfaitement que des islamistes, sans conteste possible, tuent en Algérie.

Toute cette folie a bien entendu un sens, et même plusieurs.
Et l’un de ses soubassements est à coup certain la maîtrise des flux financiers d’un pays qui importe massivement des biens de consommation tout en dilapidant son pétrole et son gaz.

Le témoignage de Naserra Dutour ouvre d’autres portes. Cette femme, qui a créé le Collectif des familles de disparus en Algérie a perdu le 30 janvier 1997 son fils Amine. Ce jeune homme nullement islamiste a disparu, englouti dans la nuit algérienne avec au moins 10 000 autres. Nassera, en admirable  » mère d’Alger  » passe des mois à chercher la trace de son fils:  » Mon fils, dit elle, un terroriste ? il est sorti acheter des gâteaux pour s’occuper le soir « . On pourrait faire un livre, un film sur la manière répugnante dont l’état algérien traite cette femme. Leitmotiv :  » il n’est pas mort, il n’est pas décédé, il n’est pas déclaré, il est vivant ma chère madame, » Mais près de six ans après, il n’a pas réapparu : les tortionnaires d’Alger, comme ceux d’Argentine naguère devront compter avec la mémoire des mères.

Toute cette folie a bien entendu un sens, et même plusieurs. L’un de ses soubassements est à coup certain la maîtrise des flux financiers d’un pays qui importe massivement des biens de consommation tout en dilapidant son pétrole et son gaz. Les propos tenus au procès par Omar Benderra, l’un des plus grands banquiers algériens d’avant 1992, sont de ce point de vue essentiels. « Le système de pouvoir algérien, explique-t-il est un système de privilèges, de gestion bureaucratique de la prédation.  » Sur les 200 généraux, 150 environ vivent normalement ou presque de leur solde ou de leur retraite. Trente ou quarante font du business en empruntant aux banques publiques sans toujours rembourser.  » Et puis il y a le core groupe, le groupe de cœur, qui compte cinq ou six officiers généraux qui, eux, sont les détenteurs ultima ratio du pouvoir.  » Ceux-là s’attribuent, à la tête d’entreprises sans  » aucun bilan ni passé comptable », et de manière régalienne,  » une portion de la rente économique de l’Algérie ».

La France peut-elle ignorer tout cela ? Les 200 000 morts, les 10 000 disparus, les 500 000 exilés, la torture massive ? La responsabilité écrasante des militaires dans l’affaissement tragique d’un pays pourtant riche ? Bien entendu, non. L’Algérie, par l’histoire commune, l’importance stratégique de son pétrole, son rôle essentiel dans la lutte mondiale contre l’islam radical, est suivie à la loupe binoculaire par nos services secrets et diplomatiques. La France officielle sait, probablement tout, mais se tait.  » Cela fait quarante ans, s’exclame Hocine Aït-Ahmed à propos de son pays, qu’on produit des mutants qui mentent.  » Nous avons les nôtres, de Chirac à Mitterrand, en passant par Balladur, Jospin, Hue, Pasqua, Debré et consorts. Mentent ils, ont ils menti seulement pour des raisons stratégiques, politiques, avouables ou presque ? Y a-t-il autre chose, comme la rumeur le dit, qui ne cesse d’enfler ? Des partis ont-ils profité de la manne algérienne, qui coule sans interruption depuis l’été 1962 ? L’histoire est en marche et elle n’est pas finie.

FABRICE NICOLINO

Le Procès de  » la sale guerre « , La Découverte, avec un fort utile appareil de notes, une chronologie, des cartes, une bibliographie, 515 p., 22 euros.

Un étrange procès

Pourquoi diable Nezzar s’est-il embarqué dans cette galère ? Pourquoi avoir intenté un procès public à Habib Souaïdia, l’auteur de la Sale Guerre ?Mystère, un de plus dans l’histoire si étrange de la Seconde guerre d’Algérie. Les généraux algériens, Nezzar compris, n’avaient pas souhaité attaquer directement, l’an passé, le livre du lieutenant Souaïdia, paru à La Découverte, se contentant d’une vaste campagne de calomnies contre lui dans la presse qui leur est soumise. Le 27 mai 2001, Souaïdia, invité sur la Cinquième, met en cause Nezzar, qu’il avait déjà accusé dans son livre. Mais, cette fois, le général montre les crocs et attaque en diffamation. Les généraux avaient-ils réellement besoin de ce stupéfiant déballage de linge sale, de linge rouge sang ? On en doute. Le procès qui vient d’être gagné par Souaidia, a eu un écho exceptionnel en Algérie. Le livre – ou ses photocopies – sera bientôt la-bas un best-seller.
F.N.

Ce qu’en disent nos intellectuels

Où est passée la France? Celle d’Hugo et de Zola, celle de Vidal-Naquet veut-on dire. Où sont passés l’Aurore de Clemenceau, l’Observateur de Claude Bourdet? Nous devons faire avec Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, avec Marianne et Le Point, et comment dire? Ce n’est pas tout à fait la même chose.
M. Lévy est allé en Algérie en janvier 1998, à l’invitation des autorités officielles, et a publié quelques jours plus tard dans le Monde deux longs articles intitulés:  » Choses vues en Algérie  »
M. Glucksmann, venu lui aussi sur place, en a ramené un reportage diffusé sur France 3 en mars de la même année, présenté comme un carnet de route. Pourquoi en ce début 1998? Parce que les terribles massacres de l’automne 1997, dont celui de Bentalha, avaient conduit quelques irresponsables à poser la question taboue : qui tue qui? , Interrogation sacrilège et même « obscène  » POU! nos deux grands philosophes, qui rejetteront avec
indignation l’idée d’une commission d’enquête. Plus tard, après la parution du témoignage de Nesroulah Vous, Qui a tué à Bentalha ?, Lévy écrira dans son bloc- notes du Point que le livre est  » troublant mais pas convaincant « . Et il ajoutera:  » J’y reviendrai.  » On attend toujours. On attend de même que les artistes et saltimbanques, jadis si présents dans la défense des droits humains, ouvrent un œil sur la tragédie algérienne. Au lieu de quoi une madame Catherine Deneuve, au lieu de quoi un monsieur Depardieu préfèrent les (très) généreuses invitations du (très) nouveau milliardaire algérien Rafik Khalifa. Lequel, ce n’est un mystère pour personne, doit sa fortune colossale autant qu’instantanée aux réseaux de l’ancienne Sécurité militaire. Où s’arrêtera Depardieu, qui fut, dit-on, de gauche? Après sa lune de miel avec Castro et sa tournée électorale en Slovaquie, en faveur du très redoutable populiste Meciar, le voilà qui vante les mérites de Khalifa, chéri des militaires.
Heureusement, il nous reste, et ce n’est déjà pas si mal, quelques obstinés. Parmi eux, on ne peut manquer de saluer l’éditeur François Gèze, directeur de La Découverte. Personne en France n’a fait davantage pour la connaissance de l’Algérie indépendante et de ses problèmes. Non seulement au travers de livres chocs sur cette nouvelle guerre, mais aussi par des livres de référence sur l’histoire contemporaine de ce pays martyr. Gèze l’Algérien s’inscrit dans la tradition. La vraie, la belle.

Qui derrière les bombes de Paris ?

Canal+ diffuse un formidable documentaire sur les vrais commanditaires des attentats en France.

Qui a-t-on jugé à Paris pendant des semaines ? Avant tout Boualem Bensaïd, considéré comme l’un des principaux responsables des attentats de l’été 1995. Y en a-t-il d’autres plus inattendus que ce lamentable terroriste? C’est la conviction de trois journalistes des » Lundis de l’investigation « , sur Canal +. Dans le documentaire que l’on pourra voir le 4 novembre (à 23 h 15 et en crypté hélas !), Jean-Baptiste Rivoire, Romain lcard et Laurent Caujat apportent de nombreuses révélations.
QUi commande le GIA au moment des attentats ? Djamel Zitouni.Plusieurs anciens officiers algériens interrogés par Canal + affirment que Zitouni était un homme des services secrets algériens. Cet islamiste aurait été repéré dans un camp d’internement du Sahara, ou la junte au pouvoir avait parqué des milliers d’opposants. Les services auraient ensuite fabriqué, en partie grâce aux médias qu’ils contrôlent, un Zitouni implacable et téméraire pour lui permettre de monter dans la hiérarchie des GIA. Chose faite en 1994. L’armée tend une vaste embuscade aux chefs principaux chefs du GIA, mais épargne bien sûr Zitouni qui prend le pouvoir, élimine les chefs islamistes survivants, et place ses hommes.
Pour quoi faire ? Aider les militaires à rester au pouvoir, bien sûr. Dans cette perspective, le soutien français, qui conditionne l’image internationale du régime est vital. Orles principaux partis politiques algériens, dont même le FLN et le FIS commencent en 1994 des discussions qui vont conduire, en janvier 1995, aux accords de Rome, ouvrant la voie à la paix, avec les islamistes. Pour le pouvoir, c’est une menace de mort.  » Tout ce qu’avaient construit les militaires s’écroulait. », constate l’ancien militaire Mohamed Samraoui.
Les journalistes de Canal + n’ont guère de mal à se servir de la chronologie, car elle est elle en effet cohérente. En août 1994, cinq français sont tués à Alger: Zitouni est présenté comme l’un des auteurs de l’attentat. En décembre, alors qu’a Rome on est tout près de l’accord, un Airbus est détourné d’Alger à Marseille dans des conditions que Balladur, lui-même alors Premier ministre, trouve suspectes. Jamais d’ailleurs l’Algérie ne répondra au juge Bruguière sur les circonstances précises de toute cette opération. A l’été 1995 en tout cas, juste après l’élection de Chirac, une vague d’attentats meurtriers déferle sur Paris et au début de 1996, les moines de Tiberine sont assassinés. Autant de messages?
L’équipe de CanaI + en est persuadée, mais elle n’est pas la seule. Alain Marsaud, l’ancien chef du service central de lutte antiterroriste, et proche de Pasqua, pense qu’il est très vraisemblable qu’un GIA manipulé par les services algériens a voulu prendre la France en otage, Et d’ailleurs, ajoute-t-il, la DST avait à l’époque fait part au gouvernement de ses doutes sur les commanditaires du détournement de l’Airbus ! Rien que pour cela, le film vaudrait d’être vu et médité. Mais il y a plus encore, mieux si c’est possible.

Debré, qui le nie aujourd’hui, a bel et bien confié à des journalistes ses interrogations sur les vrais responsables des attentats. Et Chirac en novembre 1995, avait adressé au président Zéroual, nouvellement élu, un message très ferme exigeant qu’il n’y ait plus jamais d’attentas téléguidés en France. Y aurait-il eu un deal? Le gouvernement français s’abstiendra constamment, par la suite, de critiquer le pouvoir militaire algérien. Jospin compris.
Ce dernier lance en direct au journal de PPDA, le 29 septembre 1997, ce qu’on peut prendre comme un aveu ou presque. Vous comprendrez, dit-il en substance, que je dois penser aux Français et à leur sécurité.  » C’est lourd de dire ceIa  » insiste-t -il. Et Alain Chenal, le délégué aux questions algériennes du PS, d’enfoncer le clou devant la caméra de Canal + : « Jospin a dit ce jour-là qu’il avait des soupçons sur les attentats, et que s’il s’exprimait trop ouvertement; il pourrait y en avoir d’autres.  »
Ajoutons pour finir deux mots sur Ali Touchent, le grand ordonnateur, selon l’enquête officielle, des attentats de 1995. Ce lieutenant de Zitouni recrute pour la manutention des bombes des paumés de banlieue, comme Khaled Kelkal, qui sera descendu par la police française. La plupart de ces jeunes – dénoncés? – seront arrêtés, mais pas Touchent.
Au total, un travail convaincant et remarquable. En 2003, la France a décidé de fêter l’année de l’Algérie, et le régime des généraux entend en profiter pour redorer son blason dégoûtant de sang. Ça commence mal.

F. NI.

Attentats de Paris, enquête sur les commanditaires, lundi 4 novembre, Canal +, 23h15.