Mise au point de M. Harbi à la suite des propos de L. Benmansour

Mise au point de Mohamed Harbi
à la suite des propos de Latifa Benmansour

Mohamed Harbi, 16 juillet 2002

J’ai été stupéfait d’avoir été interpellé, et sur quel ton, dans le prétoire d’abord, lors du procès Nezzar-Souaïdia, dans  » le Matin «  (du 14 juillet 2002) ensuite, par Mme Latifa Benmansour, dont on devine le désarroi mental. Tout y est : l’invective vulgaire, l’accusation pro domo, etc. Il est regrettable que le mot de  » patrie  » qu’elle s’approprie d’une manière exclusive, à la façon dont le font les nationalistes de droite français de Barrès à Maurras, puisse servir d’exutoire à tant de haine aveugle. Hors de toute arrogance nationaliste, le mot de  » patrie algérienne « , c’est nous qui l’avons appris à ses maîtres.

Madame Benmansour, reprenant à son compte le vocabulaire des dominants contre leurs adversaires politiques, réduit ceux qui ne partagent pas ses vues à l’état de  » planqués  » hors du pays. La liste des planqués est longue : planqué Krim Belkacem, planqué Boudiaf avant janvier 1992, planqué Ali Mecili, et j’en passe. Quant à moi, évadé depuis avril 1973, mon dernier domicile avant l’exil était la prison et la résidence surveillée par la grâce de l’Etat militaire. Personna non grata dans une patrie à la libération de laquelle j’ai participé, privé de passeport pendant dix sept ans, j’ai poursuivi le combat pour la liberté par l’écrit et par la parole malgré les menaces et sans jamais remettre en question ma nationalité en dépit de tous les inconvénients de ma situation d’exilé.

De quoi s’agit-il ? On m’a demandé de témoigner à partir de mes travaux d’historien sur la question du pouvoir militaire et de ses pratiques et aussi sur la façon dont est rendue impossible toute émergence d’une société civile authentique et toute participation démocratique du peuple à la gestion de ses affaires. Je l’ai fait dans un ensemble d’ouvrages dont la communauté intellectuelle, même quand elle exprimait son désaccord, a toujours reconnu le souci d’objectivité et les scrupules propres à la recherche historique.

Et voilà que Madame Benmansour évoque mon lien familial avec le colonel Ali Kafi dont chacun sait que ses vues politiques ne sont pas les miennes et m’accuse à partir de là de complaisance, sans citer bien sûr le texte qui appuierait des propos aussi légers.

Et voici que  » Le Matin « , dont les responsables se disent les héritiers des torturés du  » Chemin Poirson  » et d’  » El Harrach « , se fait l’écho de propos qui ne pouvaient avoir comme excuse que la passion dans le cadre d’un prétoire leur donnant ainsi une consistance publique sans y ajouter aucune preuve.

Pour en revenir à Madame Benmansour qui visiblement ignore l’histoire qu’elle prétend défendre et qui peut être refoule ainsi la part obscure de sa propre histoire personnelle, contentons-nous de la féliciter pour la Légion d’Honneur que lui a accordé l’Etat Français. Ce n’est pas une tare mais je ne vois pas là une raison de se draper dans les couleurs de l’Algérie dont elle veut faire sa propriété privée.