Conseil des ministres

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Le nouveau manifeste du Président

Par K.Selim, Le Quotidien d’Oran, 16 septembre 2000

C’est un conseil des ministres très politique qui s’est tenu jeudi où l’effet Benbitour a été largement présent. Tellement présent que Abdelaziz Bouteflika s’est retrouvé dans la situation d’avoir à faire des mises au point à peine voilées à la lettre de l’ancien chef du gouvernement l’accusant de violer la Constitution et d’instituer un «gouvernement parallèle» à son niveau.

La mise au point du chef de l’Etat, plus politique que juridique, a le mérite de fixer clairement au nouveau chef du gouvernement les limites de son action: le «programme présidentiel» qui est et sera «le cadre et le fondement» du programme du gouvernement. Le même message-avertissement s’adresse aux partis de la coalition qu’il somme de s’investir politiquement et de mobiliser la population pour la réalisation de ce programme et de ne pas se contenter d’une présence formelle à l’exécutif. Venant après les états d’âmes exprimés au lendemain du remaniement du gouvernement, les propos de Bouteflika sonnent comme une véritable mise en garde.

Le «programme présidentiel» ne souffre d’aucune discussion et n’est pas ouvert à la négociation, dès lors qu’il constitue une «démarche globale, massivement appuyée par le peuple algérien le 16 septembre 1999». C’est sur la base de ce programme que s’est constituée la coalition gouvernementale et il «constitue la référence commune et une identité de buts pour le gouvernement dans son ensemble et pour chacun des membres qui le composent. Ainsi les divergences idéologiques et politiques entre les partis qui composent la coalition s’estompent devant cette «référence commune». Le programme présidentiel devient la norme absolue. Il n’est pas une somme d’engagements» unilatéraux et personnels» du président. Il est devenu un engagement «collectif» pour les «forces politiques, majoritaires dans le pays» qui l’ont soutenu. Le programme présidentiel est ainsi érigé en programme national sur lequel se sont fédérées l’essentiel des forces politiques, lesquelles ont ainsi un devoir de «solidarité morale et politique» qui doit s’exprimer non seulement au sein du gouvernement mais également dans la mobilisation de la société en vue de sa réalisation.

En somme, Bouteflika ne semble guère apprécier le fait que plusieurs partis de la coalition soient membres de l’exécutif sans pour autant faire preuve d’un enthousiasme débordant à défendre sa politique. Le fait est que la coalition gouvernementale paraît être davantage un assemblage d’individus représentant les partis qu’une équipe soudée par un programme. A telle enseigne que les ministres semblent des bénéficiaires d’un «butin» de la coalition dont la présence au gouvernement n’entraîne pas une mobilisation de leurs partis politiques.

Le coup de semonce à l’égard des partis de la coalition, à la veille du débat parlementaire sur le programme du gouvernement que présentera Ali Benflis, est clair. Bouteflika ne peut se contenter d’une «adhésion seulement formelle à l’action de l’exécutif ni en des positions qui n’impliquent pas pleinement un engagement déterminé de leurs auteurs». Il attend d’eux d’être partie prenante dans la réalisation et le succès du programme du gouvernement et qu’ils le défendent ailleurs que dans le seul «cadre parlementaire et gouvernemental». En somme, Bouteflika attend que les RND, FLN, MSP, RCD et Ennahda ainsi que les «forces sociales» (allusion sans doute à l’UGTA) aient une présence plus active dans la société pour défendre le programme présidentiel et qu’ils lui donnent la preuve que leur engagement , sans faille, ne se limite pas à profiter de la «ghanima» (du butin) des portefeuilles gouvernementaux.» Le salut de l’Algérie ne pourrait se faire s’il n’était pas porté par une adhésion populaire résolue et agissante. Aussi, les forces politiques sont-elles invitées à s’investir réellement sur le terrain pour faire prendre conscience de la portée cruciale des enjeux et de la nécessité, de plus en plus pressante des changements à mettre en oeuvre».

Outre que cet appel à «investir le terrain» équivaut à un constat de carence des partis dans la défense et la promotion du programme présidentiel, le chef de l’Etat leur signifie que c’est lui qui a des exigences à formuler en leur direction et non l’inverse, comme cela s’est manifesté après le départ de Benbitour. Dans cette «mise au point», Bouteflika confirme la lecture très restrictive qu’il a du rôle du chef du gouvernement par rapport à celui qui a prévalu au cours de la dernière décennie.

Non seulement, il affirme que» l’autorité indivisible de l’Etat a été déléguée au président de la République par le suffrage souverain du peuple algérien» mais qu’il lui incombe à lui seul,» d’orienter et de déterminer la politique nationale dans le cadre des engagements qu’il a souscrits devant la nation». Il s’ensuit que Bouteflika exclut radicalement la possibilité que le chef du gouvernement puisse défendre et appliquer autre chose que son programme à lui. Une hypothèse que la Constitution permet, y compris dans une sorte de cohabitation à la française, sans qu’il soit nécessaire de forcer l’interprétation. Mais avec Bouteflika cette possibilité est totalement rejetée. La mission du chef du gouvernement se trouve ainsi réduite à l’exécution de la volonté présidentielle.« Sous l’autorité du président de la République, le chef du gouvernement, pour sa part, réalise et coordonne la mise en oeuvre de cette politique » indique le communiqué du Conseil des ministres qui précise« qu’aucune interprétation ne saurait venir établir un émiettement de l’autorité de l’exécutif, porteur de toutes les inconséquences».

De fait, le chef de l’Etat vient de supprimer la fonction de chef de gouvernement même si elle continue d’exister au plan de la forme juridique. Mais il y a une cohérence politique dans sa démarche dès lors qu’il rappelle, aux partis de la coalition qui composent la majorité au parlement, la supériorité du programme présidentiel et l’obligation qu’ils ont de le soutenir.

Dès lors que le programme présidentiel devient la norme absolue, les partis en question, à moins d’un improbable sursaut d’orgueil, ne peuvent qu’entériner sa notion de l’unité absolue de l’exécutif. Même s’ils entérinent de ce fait la possibilité-virtuelle des députés de censurer le gouvernement.

D’une certaine manière, Bouteflika peut adapter à la situation actuelle la fameuse formule de Chevènement. «Un parti membre de la coalition, ça exécute et ça ferme sa gueule, sinon ça démissionne».