Faut il amnistier le GIA

Faut-il amnistier le GIA ?

Abderrahmane Mahmoudi, Le Matin, 2 avril 2000
La polémique engagée entre Kafi et Nezzar n’a pas pris fin que l’ancien
ministre de la Défense revient à la charge contre l’ex-général Attaïlia,
aujourd’hui chef du MNCD et proche de Bouteflika.
Dans nos rêves les plus fous, au détour de nos espoirs les plus insensés,
malgré nos certitudes théoriques forgées en dix ans d’observations et
d’analyses assidues jamais, au grand jamais, nous n’aurions pu imaginer qu’un
jour la vérité apparaîtrait avec une telle clarté et une telle netteté.
Jamais nous n’aurions cru pouvoir lire un beau matin dans les pages d’un
quotidien algérien dans une interview au journal El Hayat :  » Le général
Attaïlia propose l’application de la loi sur la concorde civile au GIA.  »
C’est presque trop beau ! Alors que tout le monde s’interroge sur l’identité
des commanditaires du terrorisme, que le FFS, le journal français Libération
et toute l’Internationale socialiste se demandent cycliquement  » qui tue qui
?  » voilà qu’une personnalité de premier plan de l’entourage de Abdelaziz
Bouteflika monte au créneau pour se faire le porte-parole officiel des
exigences du GIA et affirmer qu’en cas de non-extension des dispositions de
la grâce amnistiante présidentielle il faudra s’attendre à une recrudescence
du terrorisme. Mohamed Attaïlia ne dit pas cela en se fiant à son seul flair
de général à la retraite ou animé de profondes convictions et sympathies
islamistes, non, il l’affirme après avoir mené des tractations avec des
tueurs du GIA et du GSPC dans la région de Tipaza. Il est vrai que l’amnistie
accordée aux tueurs de l’AIS a eu pour effet secondaire d’anesthésier les
réflexes de vigilance propres à toute République, mais de là à rester sans
réaction face à un individu qui déclare ouvertement avoir eu des contacts
avec des terroristes pourchassés par tous les services de sécurité du pays et
qui s’en fait même la voix autorisée par voie de presse a de quoi
sérieusement inquiéter. Mohamed Attaïlia n’occupe, jusqu’à preuve du
contraire, aucune fonction officielle qui l’habiliterait à mener des
opérations d’une telle importance pour le compte de l’Etat algérien. A la
retraite depuis plus de dix ans, il s’occupe à gérer une fortune colossale
que ne lui a léguée ni père milliardaire ni billet de loto miraculeux. A
moins qu’il n’ait eu un oncle d’Amérique. Toujours est-il que c’est sans
couverture d’aucune sorte, ou alors il lui faudrait la revendiquer, que
l’ancien patron inamovible de la première Région militaire s’avance à
découvert sur un terrain extrêmement dangereux, celui de l’établissement de
liens politiques et organiques directs entre un terrorisme qui n’a jamais
caché ses visées hégémoniques sur la société algérienne et des puissances
d’argent qui tentent de briser toute résistance à l’hégémonie déferlante des
conteneurs et des semi-remorques. Par ailleurs, et comme le note très
justement Le Quotidien d’Oran dans sa livraison du 26 mars, Mohamed Attaïlia
n’a pu agir que comme élément d’une stratégie d’ensemble dont le chef
d’orchestre ne peut être que le Président lui-même, dans un partage des
tâches à l’incontestable logique. A Bouteflika de mener son monde en bateau
idéologique et de brouiller les pistes politiques, à Attaïlia d’avancer avec
la grosse artillerie. Connu pour être un individu d’une très grande férocité
et de prises de position radicales, il a été estimé quelque part que rares
sont ceux parmi les commentateurs politiques qui seraient tentés de croiser
le fer avec lui. Oubliant peut-être un peu trop vite que le GIA lui-même n’a
pas réussi à briser des hommes et des femmes qui ont côtoyé la mort huit
années durant et qui restent prêts à donner leur vie pour qu’enfin les chefs
et commanditaires du terrorisme répondent de leurs actes face à l’Algérie et
face à l’Histoire. Ainsi, ce qui paraissait être les entrechats d’une danse
chaouie bien connue – un pas en avant, un pas en arrière – s’avère être une
chorégraphie d’une mortelle efficacité à travers laquelle Abdelaziz
Bouteflika s’est employé une année durant à hypnotiser les courants
modernistes et républicains de la société, de l’Etat et de l’Armée en jouant
au briseur de tabous, alors qu’en réalité il ne faisait que se préparer à
briser le plus sacré des interdits : le pardon aux égorgeurs de bébés. Par
petites touches bien ajustées, il a abattu les résistances psychologiques de
secteurs qui, après avoir joyeusement applaudi ses sorties sur l’utilisation
du français dans le discours officiel et ses ravissements d’avoir discuté
avec Saïd Sadi et Khalida Messaoudi, se retrouvent bien en peine de dénoncer
aujourd’hui ce qu’ils ont monté aux nues hier. C’est ainsi qu’avait manouvré
Abassi Madani, faisant écrire à une consour, en 1990  » Intégristes dites-vous
?  » . Abassi Madani, Bouteflika, Attaïlia, Ali Kafi, GIA, même combat ? Les
jours qui viennent nous le diront sûrement, tant les positionnements
politiques de ces dernières semaines sont annonciateurs de manouvres de
grande envergure, pour ne pas dire d’affrontements décisifs. Des
affrontements auxquels le dernier mouvement dans la haute hiérarchie
militaire ne semble pas étranger, puisqu’il n’a visiblement pas correspondu
aux attentes de la Présidence de la République, qui n’a réussi ni à maintenir
son candidat à la tête de la garde républicaine plus de 24 heures ni à empêche
r le départ de deux des hommes-clés de son dispositif. C’est pour cette
raison probablement que la bataille politique a été engagée par le clan
Bouteflika qui, n’espérant plus rien du côté de l’institution militaire, a
décidé de l’isoler en jouant sur les terrains médiatiques, sociaux et en
rameutant les sponsors internationaux bien connus. Sachant l’ANP dépourvue de
moyens de riposte médiatico-politiques et de toute façon trop respectueuse de
la Constitution, et la classe politique gravement affaiblie par les divisions
et les compromissions, le clan Bouteflika a donc décidé de jouer le
harcèlement et le discrédit. Et cela semble très bien marcher puisque, suite
à l’interview de Mohamed Attaïlia donnée à El Hayat, seul un quotidien, Le
Matin en l’occurrence, a pu réagir et se dresser face à l’infamie.

 

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