Contribution de Ait-Ahmed au sujet de la presse

La presse autrement vue

Contribution de Hocine Aït Ahmed au Quotidien d’Oran, pour le dossier consacré à la presse privée algérienne, publié à l’occasion du 6ème anniversaire du journal, le 14/12/00

Dix ans après le lancement du processus démocratique dans des conditions particulières, la presse nationale subit logiquement les graves contrecoups de la crise tragique dans laquelle est plongée le pays depuis l’arrêt de ce processus en janvier 1992.
On ne peut parler de démocratie et de liberté de la presse chez nous sans avoir à l’esprit que l’état d’urgence est toujours en vigueur. Cette donnée fondamentale conditionne dans un sens restrictif toute l’activité journalistique en particulier et l’exercice des libertés en général.
Les restrictions apparentes et non apparentes des libertés, la non séparation des pouvoirs, un Etat déliquescent pris en otage par un pouvoir illégitime, une société atomisée et paupérisée ne laissent qu’une marge infime de manœuvre à la presse. Cette marge est nulle dans la presse publique entièrement sous contrôle des appareils aux mains du pouvoir. Télévision, radio, agence de presse et journaux d’Etat, par leurs productions aux ordres, illustrent parfaitement la réalité de la négation de la société et des courants qui la traversent ainsi que des aspirations qu’elle porte. Inutile d’évoquer le service public classique. Il ne peut exister tant que l’état d’urgence a cours et les institutions sont illégitimes.
La presse privée, après des débuts prometteurs, n’a point échappé à cet effet de serre. Effectivement, elle se caractérise par une liberté de ton relativement remarquable. Mais sa surpolitisation, sa sur-idéologisation
et ses nécessités économiques l’ont très rapidement rendu otage des luttes d’appareils. Ciblée par le terrorisme, peu après l’arrêt du processus électoral, elle s’est sentie obligée de choisir son camp, très probablement sous le coup de l’émotion et d’un désarroi compréhensibles mais intolérables en raison de la responsabilité sociale et historique qui est la sienne. Elle a mis des œillères pour devenir partiale.
Ne dit-on pas dans le métier que « les faits sont sacrés » ? La banalisation de la mort violente est une des conséquences de cette déviation. Faut-il rappeler que l’un des principes basiques de l’éthique journalistique est la défense et la promotion de la paix ?
Certes, bien que non suivies de suites judiciaires effectives, la révélation de quelques affaires scandaleuses a donné quelque crédit à la presse privée. Ce crédit est très relatif car les intouchables demeurent intouchables et
seuls les lampistes paient lorsqu’ils sont lâchés par leurs protecteurs. Le nombre impressionnant de titres édités, la relative liberté de ton et les tentatives d’arracher quelque espace de liberté donnent à l’étranger l’image de la poursuite de l’expérience démocratique.
C’est cette vitrine qu’expose le pouvoir à ses partenaires étrangers pour tenter de le convaincre que la démocratie est en marche en Algérie. Tous les journalistes, qui subissent la politique de la carotte et du bâton du pouvoir, savent qu’il n’;y a rien de plus faux. Leur combat pacifique est le notre, dés lors qu’il veille à ne pas se détacher de la société, de l’Algérie profonde.
Pour l’heure, il n’est mené que par une minorité de journalistes dans une conjoncture malheureusement peu favorable à une véritable démocratisation.
A notre sens, le chemin à parcourir pour que la presse parvienne un jour au rang de quatrième pouvoir sera long et difficile. Il faudra se battre pour la vérité et la justice, pour la levée l’état d’urgence, pour une véritable solution politique globale, pour l’émergence d’une véritable société civile et contre la prédation érigée aujourd’hui en système.
Dans cette perspective, la presse nationale a certainement un grand rôle à jouer pour peu qu’elle procède à son examen de conscience et qu’elle s’attache constamment aux principes universels de l’éthique et de la déontologie. Elle en est capable. Et l’Algérie en a tant besoin !
Hocine Aït Ahmed

 

 

 

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