Au premier jour de son procès, Paul Aussaresses endosse tous les crimes qu’il a ordonnés

Au premier jour de son procès, Paul Aussaresses endosse tous les crimes qu’il a ordonnés

Franck Johannès, Le Monde, 28 novembre 2001

Le procès du général Paul Aussaresses au tribunal correctionnel de Paris, poursuivi pour « complicité d’apologie de crimes de guerre » dans son livre Services spéciaux Algérie, 1955-1957, a connu, lundi 26 novembre, une première journée hésitante. Le général a repris les épisodes rassemblés dans son livre et endossé le recours à la torture et les exécutions sommaires. La responsabilité de ses éditeurs a aussi été mise en cause.

Il arrive à la justice d’être sourde, mais quand le prévenu l’est aussi, le dialogue est difficile. La présidente de la 17e chambre a mis longtemps à comprendre, lundi 26 novembre, que le général Aussaresses ne saisissait pas un traître mot de ses longues questions, au premier jour de son procès pour « complicité d’apologie de crimes de guerre ». Le vieux monsieur opine par des « c’est cela même » ou « c’est aussi simple que cela » qui, s’ils tombent de façon assez plausible dans la conversation, ne facilitent pas nettement sa défense. Paul Aussaresses, borgne et dur d’oreille, a en tout cas toute sa tête et avoue tous les crimes prescrits qu’on veut, mais évite d’avoir un mot de trop sur l’assassinat de Maurice Audin, qui pourrait l’envoyer en prison le reste de sa vie.

Il n’y a pas que l’audition du général Aussaresses qui a été hésitante, et le procès est parti lundi sur un mauvais pied. La présidente Catherine Bezio n’a pas su écarter la constitution de partie civile, juridiquement douteuse, d’une obscure association dont le dynamique président contribue à encombrer l’audience. Paul Aussaresses s’est contenté de reprendre très lentement les épisodes rassemblés dans son livre par une plume plus ramassée, et le tribunal n’est même pas parvenu, après des heures de débats, à savoir quel avait été le parcours du manuscrit aux éditions Perrin et Plon, encore moins qui l’avait écrit. Le général proteste que c’est lui seul, parce que « le devoir de réserve est un moyen parfois de couvrir une lâcheté », et endosse sans problème tous les crimes qu’il a ordonnés.

PLUSIEURS ÉLÉMENTS NOUVEAUX

Paul Aussaresses donne cependant plusieurs éléments nouveaux : le juge Bérard avait été présenté dans son ouvrage comme un émissaire du garde des sceaux de l’époque, François Mitterrand. Jean Bérard, mort en 1979 (Le Monde du 14 mai), « nous couvrait », avait écrit Paul Aussaresses. « Bérard connaissait personnellement le ministre -François Mitterrand-, a ajouté le général à l’audience. Il communiquait avec lui par téléphone, tous les jours. Nous étions devenus très amis, il était absolument au courant de tout. » Le tribunal n’a pas cherché à en savoir plus.

Le général a aussi mis en cause Charles Ceccaldi-Raynaud, aujourd’hui sénateur et maire (RPR) de Puteaux. Le secrétaire général de la préfecture d’Alger, Paul Teitgen, qui « faisait respecter la loi sous son aspect le plus formel », indique cruellement le général, assignait à résidence les suspects choisis par l’armée dans le camp de Beni Messous, dirigé par Charles Ceccaldi-Raynaud. « Chaque matin, on allait chercher untel au camp, a expliqué Paul Aussaresses, parce qu’il avait participé à telle opération, on l’enlevait. Ceccaldi, que je connaissais très bien, prenait sur lui les disparitions. Pendant la bataille d’Alger, près de 24 000 personnes sont passées dans les camps. Teitgen a compté à la fin qu’il en manquait 3 000. ». 3 000, c’est beaucoup, constate la présidente. « C’est beaucoup, mais ce n’est pas 24 000 », répond calmement le général.

Le débat s’est ensuite longuement attardé sur la responsabilité des éditeurs. « Vous allez recevoir un témoin, Henri Alleg, dont le livre a été saisi à l’époque parce qu’il disait qu’on pratiquait la torture, a plaidé Olivier Orban, le PDG de Plon. Je suis là aujourd’hui parce que le livre que j’ai édité établit que la torture a existé.

– Vous pouviez choisir de ne pas faire de l’argent avec ça, estime la présidente.

– Vous préférez les éditeurs morts que vivants », répond théâtralement l’éditeur.

Pierre Vidal-Naquet, lui, historien et infatigable militant contre la torture, n’aurait pas publié le livre, écrit, selon lui, avec « une sourde satisfaction ». Il a essayé en vain de faire avouer au général ce qu’était devenu Maurice Audin, enlevé en 1957. Le général n’a là-dessus « aucun élément ». On ne le croit guère, mais tant que le corps n’a pas été retrouvé, le crime n’est pas prescrit. Pierre Vidal-Naquet a d’ailleurs entendu sur une radio le général tortionnaire citer un vers d’Aragon : « Et si c’était à refaire, je referais ce chemin. »L’historien a jugé utile de donner le titre du poème : La Ballade de celui qui chantait dans les supplices.

 

 

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