Tortures: Matignon prêt à «favoriser» l’accès aux archives

Tortures: Matignon prêt à «favoriser» l’accès aux archives

Mais la divulgation des documents sur la guerre d’Algérie reste problématique.

Par JEAN-DOMINIQUE MERCHET ET PAUL QUINIO

Libération, Le mercredi 29 novembre 2000

Pourquoi s’élever contre la torture? «Parce que je suis contre.» Lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale, hier, Lionel Jospin a d’abord répondu en ces termes à Michel Meylan, député Démocratie libérale de Haute-Savoie. Ce dernier l’interrogeait sur le soutien que le Premier ministre avait apporté, dès le 4 novembre, à un appel d’intellectuels publié par l’Humanité, demandant aux autorités françaises de condamner l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie.

Travail scientifique. Lionel Jospin a indiqué qu’il était «prêt à favoriser» l’accès aux archives sur la guerre d’Algérie pour contribuer «à la recherche de la vérité», qu’il faut «regarder en face et condamner sans appel. Le gouvernement, comme il l’a fait au cours de ces trois dernières années pour l’accès aux archives de la Seconde Guerre mondiale [spoliation des juifs sous le régime de Vichy] ou aux documents relatifs aux journées d’octobre 1961 [répression sanglante de manifestations d’Algériens], est prêt à favoriser un tel travail scientifique et historique», a-t-il indiqué.

Lionel Jospin n’est pas revenu sur son opposition à l’ouverture d’une enquête parlementaire réclamée par le PCF, hostilité qu’il avait exprimée, samedi, en marge du congrès du PS à Grenoble. Il n’a pas annoncé non plus la création d’une commission ad hoc composée d’historiens et de personnalités, comme l’avaient laissé entendre des responsables socialistes. Il a en revanche écarté une nouvelle fois l’idée que cette période puisse justifier «un acte de repentance collective». «Quarante ans après les faits, un travail objectif d’explication et de compréhension est nécessaire.» Il l’est d’autant plus, a-t-il estimé, que «la reconnaissance des crimes commis pendant la guerre d’Algérie et du fait que la torture fut pratiquée crée un trouble profond dans l’opinion publique et heurte notre conscience».

Il a assuré qu’il n’oubliait «en rien les crimes, les exactions et les massacres perpétrés de l’autre côté» par les combattants algériens, avant de justifier sa position: une «démocratie est d’abord comptable du rapport à ses propres valeurs», même si «les dévoiements» dont il est question «étaient minoritaires». Lionel Jospin n’a pas détaillé les modalités qui pourraient faciliter l’accès aux archives. Elles ne vont pas de soi.

Les archives militaires de la guerre d’Algérie sont stockées pour l’essentiel au Service historique de l’armée de terre, au château de Vincennes. Selon la loi du 3 janvier 1979, elles sont théoriquement accessibles à tous les chercheurs, passé un délai de trente ans. Dans la réalité, la plupart des cartons restent verrouillés, puisqu’ils contiennent des secrets «intéressant la défense nationale» et, surtout, des noms de personnes. Afin d’assurer la «protection des individus», la loi prévoit dans ce cas un délai de soixante ans. Ainsi, les archives de la bataille d’Alger (1957) ne devraient être ouvertes qu’en 2017. Reste que le ministre de la Défense possède un droit discrétionnaire d’entrouvrir les dossiers. Il l’a ainsi récemment fait au profit d’une historienne de Sciences-Po qui prépare une thèse sur la torture en Algérie.

L’ouverture des archives n’est pas sans poser des problèmes à d’autres ministères (lire également en page 7). Le Quai d’Orsay redoute un incident diplomatique avec Alger si des dossiers étaient rendus publics. Des généraux algériens, aujourd’hui proches du pouvoir, étaient officiers de l’armée française au moment de la bataille d’Alger. Et les résultats des interrogatoires conduiraient sans doute à jeter une lumière crue sur les luttes intestines au sein du mouvement algérien.

Destruction. Même ouvertes, les archives ne pourront montrer que ce qu’elles contiennent. Un certain nombre de documents ont été détruits. Ainsi, en 1973, à la demande du ministre de la Défense, Michel Debré, des films et des photos de l’ECPA (Etablissement cinématographique et photographique des armées) ont été brûlés. Un tri du même ordre pourrait avoir eu lieu dans les archives de la préfecture de police sur la répression de la manifestation du 17 octobre 1961.

Enfin, un document ne vaut que s’il est correctement répertorié. Or, la plupart des cartons n’ont jamais été ouverts et leur contenu reste quasiment inconnu.

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